29 octobre 2021, à Saint-Julien-Molin-Molette.
Au revoir Maguy, mémoire ouvrière et figure patronale
Souvenirs et effacements. Lors de l’entretien que j’effectue avec Delphine Gaud, habitante de l’usine Perrier-Schmelzle, j’apprends la mort de Maguy Perrier, le 2 Octobre dernier.
Le 3 Octobre, le Progrès titre «Adieu à Maguy Perrier». L’hommage, écrit par Claude Bonnard, le correspondant local, précise «Maguy était une personne (…) qui aimait son village avant tout. Elle aimait rencontrer les habitants (…).».
Fille du
patron Perrier, dirigeant de l’usine homonyme, elle était entourée de cette aura de fille de....
Elle est l’une des fondatrices de
l’association Patrimoine Piraillon consciente que «tout ce patrimoine est en train de disparaître.».
Son frère François Perrier est le dernier descendant de la famille Perrier ayant connu
l’usine -reprise par
Josette en 1969- en fonctionnement. Banquier retraité, il a quitté le village depuis des années pour Lyon et ne s’intéresse que depuis très récemment au patrimoine encore présent dans les collections familiales. Quelle valeur mémorielle, historique et sensible peuvent bien avoir les correspondances et
agendas où de vieilles écritures à la plume nomment
ouvriers et
ouvrières, quantifient
commandes et
payes, et illustrent une chaîne de travail et de pouvoir à l’échelle d’un territoire? Quelle valeur sociale et politique ont encore ces vieux papiers stockés dans
le grenier de
la maison Perrier?
Faire perdurer un nom, marquer un territoire, garder le pouvoir? Que faire d’un héritage foncier illustrant la réussite patronale liée à une production industrielle quand l’activité ouvrière s’est arrêtée?
Les bâtiments des usines,
les maisons de maître,
les logements ouvriers,
les ateliers et
commerces… le cœur du village a été façonné par l’activité textile et par les décisions prises par
les patrons des fabriques. Par exemple, la construction de
canaux pour alimenter
les systèmes hydrauliques fournissant de l’énergie aux usines et le partage de l’eau de la rivière traversant le village a souvent été sujet de querelles entre concurrents.
L’aménagement de l’espace public dépendait de la volonté de la classe bourgeoise et était un espace de démonstration de richesse, culture et pouvoir vis-à-vis de la classe ouvrière et paysanne, majoritaire pourtant au village. Les patrons étaient des exemples, craints et respectés.
Souvent maires, les patrons des fabriques ont fait aménager des
parcs, des espaces de loisirs – comme
le Cercle Jeanne d’Arc,
des écoles privées et
des hospices. De nombreux
immeubles du
Faubourg et à
la Grande Place ont historiquement été bâtis pour loger le personnel des fabriques. Ces immeubles sont pour certains encore possédés par les grandes familles patronales.
Ayant reçu une éducation et la possibilité de voyager, les patrons participaient à des salons universels leur permettant d’être au courant des grandes avancées techniques comme
la machine à vapeur. Ils ont impulsé l’installation de lignes
électriques, du téléphone, et cherché à développer des brevets dans le domaine de l’industrie de la soie.
À l’opposé, beaucoup d’ouvrièr·es ne quittaient jamais le village et étaient redevables à leurs patrons, car ces derniers assuraient revenus et ressources en fournissant travail, logement et privilèges selon la bonne conduite – scolarisation des enfants à
l’école privée,
terrains agricoles permettant de cultiver fruits et légumes
aux alentours du village… Quitter l’usine, c’était rompre avec certaines conditions de travail mais aussi se couper d’un milieu social et potentiellement se retrouver en situation de grande précarité. Dans
la mentalité ouvrière, le patron est perçu comme le bienfaiteur. Le village n’a pas connu beaucoup de révoltes,
quelques jours de grèves qui ont été rapidement effacés des mémoires.
Maguy Perrier, au titre de détentrice de la mémoire patronale et gardienne de l’histoire, reçoit des hommages dans la presse locale et sur le site de l’Association Patrimoine Piraillon, faisant l’éloge de son dévouement à la sauvegarde de l’histoire locale. «Une Gardienne du Patrimoine s’est éteinte...».
Ces hommages n’éclipsent-ils pas une partie de la réalité historique de la lutte des classes entre patronat et ouvrièr·es ?
«Ah! Les patrons, les patrons... ils s’en foutent du village, ils veulent juste du pouvoir, être vus. Les sacro-saints patrons des Piraillons!». Cette phrase d’un habitant résonne dans ma tête.