Dans les brumes /Carnet de Terrain
23 novembre 2021, Ă  Saint-Julien-Molin-Molette.
Chemin Déviés.

Le lendemain, le chemin est fermĂ© dĂšs l’entrĂ©e du Faubourg au centre du village. L’accĂšs au pont, et Ă  la riviĂšre aussi. Il y a le marchĂ© sur la place de la Mairie. Je prends du pain et file Ă  la maison. Sur internet plusieurs articles. C’est bien l’usine de la MontĂ©e des Fabriques, l’usine Blanc, une des plus anciennes, qui a brĂ»lĂ©. Pas de blessĂ©s. Malheureusement, la cuve de fioul du bĂątiment s’est dĂ©versĂ©e dans la riviĂšre, plusieurs centaines de litres. Des barrages anti-pollution ont Ă©tĂ© installĂ©s tout au long des installations hydrauliques: de l’écluse du pont de l’avenue des Ateliers (surnommĂ© pont de la Planche) jusqu’au barrage du Ternay, rĂ©serve d’eau de la rĂ©gion. En aval, la station d’épuration attend les instructions des politiques.

Dri-Dri !
Je sursaute.

Mon grand-oncle, ou, plutĂŽt, le cousin de mon pĂšre, Pierre, sonne Ă  la porte. Il passait par lĂ  et a vu les volets ouverts. Je lui offre un cafĂ©, on discute voitures de course, vie associative, congrĂ©gation de la rigotte de Condrieu, potager... Il veut voir les photos de l’incendie, me demande de les lui envoyer pour les montrer Ă  sa compagne Betty. Il me raconte que lorsqu’il Ă©tait petit, sa mĂšre, Josette Schmelzle, chauffait l’usine de tissage grĂące au fioul. Une Ă©norme cuve Ă©tait remplie chaque annĂ©e. Une trappe traversait les gros murs du bĂątiment, permettant de relier le camion-citerne garĂ© rue Peyronnet au sous-sol de l’usine en contrebas, vers l’étuve. Une fois, le gars qui s’occupait du remplissage avait mal visĂ© et renversĂ© au sol le prĂ©cieux liquide. De fil en aiguille, le fioul s'est retrouvĂ© dans les canaux de l’usine puis dans la riviĂšre. Josette et ses ouvriĂšres avaient dĂ» recouvrir la riviĂšre de paille et de foin pour absorber les flaques Ă  la surface du cours d’eau. Puis elle avait prĂ©venu les pompiers qui avaient, pour la premiĂšre fois, utilisĂ© le nouveau «barrage anti-pollution» de l’époque, offert par la rĂ©gion. En essayant de le dĂ©ployer sur la riviĂšre et au niveau de la digue du barrage, ils s’étaient rendu compte qu’il Ă©tait beaucoup trop large pour ce type de cours d’eau et donc inutile. Le foin avait suffi. Affaire Ă©touffĂ©e. «On n’était pas sensibilisĂ©s Ă  l’époque, on faisait pas vraiment attention.». J’imagine que faute de moyens pour remettre aux normes la cuve de fioul de l’ancienne usine Blanc, cette derniĂšre devait ĂȘtre dans la mĂȘme configuration que celle de l’usine Perrier, cinquante ans auparavant, sans coffrage de bĂ©ton limitant la propagation du liquide en cas de fuite.

Pierre me propose de venir jardiner avec lui dans le potager de la maison de Josette, dans le quartier de la Condamine. En quittant la maison, on croise Jean-Marc et Éliane Bancel. Ils ont appris la nouvelle de l’incendie ce matin, au rĂ©veil: «C’est dommage, y avait une famille qui habitait dans l’usine accolĂ©e, ils ont plus de logement. La Mairie doit les reloger. Et puis, il y avait le charpentier de l’usine Ă  bois, celui qui a fait le pont du sentier piĂ©ton, c’est son atelier qui a brĂ»lĂ©...». Une cagnotte de soutien a Ă©tĂ© mise en ligne. (Quelques semaines plus tard dix mille euros seront rĂ©coltĂ©s pour venir en aide Ă  la famille.).

L’incendie pose la question de la gestion du patrimoine ni labĂ©lisĂ© ni reconnu par l’État. Comment prĂ©server des lieux de cette envergure sans aides de l'État? Le village n’attire pas de «riches investisseurs» ayant les moyens de rĂ©aliser de grandes rĂ©novations, mais plutĂŽt des trentenaires-quarantenaires issus de classes moyennes, ayant eu un petit hĂ©ritage, et Ă©tant en quĂȘte d’espace pour leurs familles et projets. Impossible de tout remettre aux normes, autant acheter un terrain et construire du neuf.

Les usines, tout d’abord propriĂ©tĂ©s des grands patrons, ont influencĂ© la structure socio-Ă©conomique et l’organisation typologique du village. Lorsque l’activitĂ© textile Ă©tait florissante, ces bĂątiments ont Ă©tĂ© signes de prestige, source de pouvoir, d’influence politique et de dynamisme Ă©conomique. Mais ces biens sont peu Ă  peu devenus une charge financiĂšre et mentale pour les hĂ©ritiers des «grandes familles bourgeoises», des sources d’embĂȘtements de par la nĂ©cessaire conservation en relativement bon Ă©tat du bĂąti gĂ©nĂ©ral, ainsi que par la gestion fonciĂšre et les taxes en dĂ©coulant. De la sauvegarde et de l’entretien de ces propriĂ©tĂ©s semblent dĂ©couler un «devoir de mĂ©moire», en tant que biens incarnant l’histoire collective du village, dĂ©passant la sphĂšre du patrimoine privĂ©. Ces rentiers, pressentant le dĂ©clin de l’industrie textile, sont partis en ville faire des Ă©tudes d’économie, de droit, de gestion et ne sont pas revenus.

Les bĂątiments des usines ont peu Ă  peu affichĂ© Ă  leurs fenĂȘtres des Ă©criteaux «à vendre». Mais quel prix donner Ă  d’anciens bĂątiments industriels dĂ©saffectĂ©s? Certaines maisons de maĂźtres, appartements de contremaitre, immeuble-dortoirs, ou logements ouvriers peuvent ĂȘtre facilement transformĂ©s en logements individuels et louĂ©s Ă  de nouvelles familles, assurant une source de revenus Ă  leurs propriĂ©taires. Ceux-lĂ  sont conservĂ© par les familles. Mais que faire des bĂątiments dont l’activitĂ© nĂ©cessitait des espaces immenses, des plateaux pouvant accueillir plusieurs rangĂ©es de mĂ©tiers Ă  tisser, des fenĂȘtres et shed servant Ă  capter le plus de lumiĂšre possible, et une hauteur sous plafond de plus de trois mĂštres pour accueillir les moulins des moulinages? Que faire des espaces de production dont les murs sont encore remplis des stocks et des machines en fonte des anciennes entreprises de soie, objets-tĂ©moins de l’activitĂ© locale antĂ©rieure et de souvenirs communs aux habitant·es du village? Les usines, privĂ©es de leur fonction, deviennent des bĂątiments dormants, voire abandonnĂ©s en l’état, en friche. «Charmants et pittoresques», bons pour le dĂ©veloppement de l’activitĂ© touristique mais symboles de dĂ©clin, d’inactivitĂ© voire de nostalgie pour les anciens ouvriers. Aucun ne peut prĂ©tendre Ă  reprendre le flambeau. Le village se referme, il devient un village-dortoir, les habitant·e·s travaillent dans les villes alentours, la population vieillit et les nouvelles gĂ©nĂ©rations migre en ville. Personne ne veut vivre lĂ , le prix du m2 dĂ©gringole.
C’est pourquoi, de fermeture en fermeture, certaines usines ont Ă©tĂ© rachetĂ©es par la Mairie, puis revendues pour une bouchĂ©e de pain dans les annĂ©es 2000 Ă  de nouveaux habitants et habitantes - sous condition d’un projet culturel pour redonner vie aux lieux. Pour redynamiser l’activitĂ© locale, par l’évĂ©nementiel, la culture et le tourisme, c’est sur les artistes que la collectivitĂ© mise pour redonner de l’attractivitĂ© au territoire. Malheureusement, beaucoup d’arrivants – majoritairement des artistes lyonnais et parisiens – ont profitĂ© de ces opportunitĂ©s pour acquĂ©rir Ă  bas prix des ateliers de production et des habitations immenses. Ces lieux sont pour la majoritĂ© complĂštement privatisĂ©s et coupĂ©s des Piraillons et Piraillonnes de souche. Beaucoup d’artistes ont montĂ© des associations afin de recevoir des aides rĂ©gionales et europĂ©ennes leur permettant de restaurer et amĂ©nager les lieux. Mais nombre de ces associations et leurs projets de rĂ©sidences artistiques, d’expositions et de spectacles – que les Piraillons pouvaient voir en avant-premiĂšre – ont arrĂȘtĂ© leurs activitĂ©s quelques annĂ©es aprĂšs. Le In & Off, parcours artistique installĂ© dans les devantures des boutiques et ateliers du village durant l’étĂ© n’a plus eu lieu depuis plusieurs annĂ©es. Le stage de chant «Les Oiseaux Rares», organisĂ© par Michel Bernard – chanteuse et artiste habitant les Ă©tablissements Gillier dits Chez Baptiste, chemin Anne Sylvestre – se dĂ©roulant pendant une semaine Ă  la salle des FĂȘtes, et dont la restitution se fait publiquement Place aux 6 Fontaines, est l’une des rares initiatives qui perdure.
Au fil des rencontres, je comprends que l’arrĂȘt de ces initiatives a crĂ©Ă© une coupure entre les Piraillons et Piraillonnes (hĂ©ritiĂšr·es de la mentalitĂ© ouvriĂšre et de l’histoire industrielle du village) et la nouvelle gĂ©nĂ©ration d’habitant·es du village, des nĂ©o-ruraux issus du monde de la culture. Les bĂątiments des fabriques, rĂ©ceptacles de la mĂ©moire du village, Ă©taient pour beaucoup perçus comme des biens communs. Beaucoup de descendants d’ouvriĂšr·es, ayant grandi dans ces espaces, ont ainsi un sentiment de trahison et de dĂ©possession. Ce manque d’emprise sur l’avenir des lieux crĂ©e des conflits et dĂ©saccords entre gĂ©nĂ©rations sur le futur du village. En empĂȘchant le dialogue et la transmission, cette mĂ©fiance participe Ă  l’effacement de la mĂ©moire. Les nouveaux arrivants sont vus comme des profiteurs sans respect. Les initiatives rapidement stoppĂ©es confortent chez beaucoup les sentiments de dĂ©possession et d’usurpation de biens communs au profit d’intĂ©rĂȘts privĂ©s. Le succĂšs mitigĂ© de ces projets culturels participe Ă  la dĂ©gradation de l’état gĂ©nĂ©ral du bĂąti des usines.

La Mairie n’a pas les moyens d’acheter et d’entretenir les bĂątiments - quelques annĂ©es auparavant c’est l’usine Malliquet qui avait brĂ»lĂ©. Ne vaut-il pas mieux dĂ©construire l’existant afin de prĂ©venir les risques futurs liĂ©s Ă  la dĂ©gradation du bĂąti – comme le moulinage de la Roche qui a Ă©tĂ© mis Ă  feu lors d’un exercice des sapeurs-pompiers? Mais en dĂ©truisant les anciennes usines, le village perd ce qui fait son «caractĂšre». Et patrimonialiser un lieu, c’est aussi le figer dans le temps et risquer de musĂ©ifier le village en l’empĂȘchant d’évoluer. Ces contraintes provoqueraient aussi le dĂ©part des nouvelles gĂ©nĂ©rations ayant amĂ©nagĂ© dans le village ces derniĂšres annĂ©es, attirĂ©es par les multiples usages possibles des bĂątiments: plusieurs dizaines de familles, artistes et jeunes actifs ayant apportĂ© une Ă©nergie nouvelle Ă  la vie du village. Presque un tiers de la population du village. La question de la rĂ©novation devient celle de la restauration et de la protection, du garder en Ă©tat, de l’originel et de la lisibilitĂ© de sa signification. Lorsque les lieux sont inscrits Ă  l’inventaire des monuments historiques ou classĂ©s au patrimoine, les propriĂ©taires ne sont plus les seuls Ă  dĂ©cider de l’avenir de leur bien. Que penserait une commission du patrimoine de la rĂ©paration d’un mur de pierres faite avec des parpaings de bĂ©ton? Respecter un cahier des charges autour de l’identitĂ© du village en utilisant les matĂ©riaux et techniques locales devient impossible Ă  l’échelle des bĂątiments. Je me demande s’il n’est pas tout aussi intĂ©ressant de voir les changements d’usages ou les traces d’usure sur ces murs. Ces pratiques ne rĂ©vĂšlent-elles pas, par l’attention tĂ©moignĂ©s Ă  ces lieux, nos habitudes de consommation, nos moyens de construction et nos habitudes de consommation, voire notre sensibilitĂ© Ă  notre environnement? Ces mĂ©tissages pourraient ĂȘtre des pistes de recherche du point de vue de la sociologie mais aussi de l’histoire des techniques et de l’industrie. Par exemple, de nombreuses techniques de construction ne sont plus rĂ©alisĂ©es comme il y a une centaine d’annĂ©es. Certains matĂ©riaux sont moins qualitatifs et durables mais nĂ©cessitent moins de main-d’Ɠuvre et permettent de limiter les risques d’accidents et la duretĂ© du travail sur les chantiers. Ils sont le reflet des avancĂ©es technologiques et sociales. L’inventaire des matĂ©riaux et des techniques dans le temps reflĂšte aussi l’histoire socio-politique d’un territoire.

Sans chercheurs et spĂ©cialistes (anthropologues, historiens...) du Patrimoine pour nommer et thĂ©oriser ces pratiques, la mĂ©moire collective et le patrimoine immatĂ©riel s’estompent ou sont Ă©clipsĂ©s.
Les habitant·e·s d’un lieu patrimonalisable n’ont pas toujours conscience des enjeux liĂ©s Ă  leur bien; l’éveil Ă  la sauvegarde des ressources d’un territoire se joue dans la sensibilisation Ă  l’analyse de notre environnement. Saint-Julien-Molin-Molette est un patrimoine mouvant et vivant. Par exemple, la labĂ©lisation «Parc Naturel RĂ©gional», est une affirmation et une reconnaissance d’un territoire Ă  prĂ©server.
La labĂ©lisation, dont le renouvellement se fait par candidature, rĂ©pond Ă  plusieurs prĂ©requis et un cahier des charges strict auquel le Parc du Pilat doit se conformer: en termes de services, d’amĂ©nagement et d’entretien du Parc d’un point de vue touristique. En Ă©change, la labĂ©lisation apporte financements, visibilitĂ© et attractivitĂ© touristique.
Les chartes et procĂ©dures de classement sont explicitĂ©es sur le site de la FĂ©dĂ©ration des Parcs Naturels RĂ©gionaux: «Le classement en Parc naturel rĂ©gional se justifie pour des territoires dont l’intĂ©rĂȘt patrimonial est remarquable pour la rĂ©gion et qui comporte suffisamment d’élĂ©ments reconnus au niveau national et/ou international. C'est souvent Ă  l'initiative locale des acteurs de terrain que naĂźt l'idĂ©e d'un Parc. Des associations, des Ă©lus, des habitants se concertent pour prĂ©server les atouts de leur territoire et lui donner un nouvel Ă©lan. La ou les RĂ©gion(s) concernĂ©e(s) dĂ©cide(nt) alors de donner suite Ă  l'idĂ©e ou non, dĂ©finisse(nt) le pĂ©rimĂštre d'Ă©tude du parc et engage(nt) le travail d'Ă©laboration du projet de territoire qu'est la charte. (
) Dans les Parcs naturels rĂ©gionaux, on entend par patrimoine l’ensemble des caractĂ©ristiques et spĂ©cificitĂ©s de ce territoire. On peut ainsi parler de patrimoine naturel (espĂšces, habitats, milieux, sites d’intĂ©rĂȘt naturel), de patrimoine paysager (grands sites et ensembles paysagers), de patrimoine humain (ensemble des forces vives et des savoir-faire disponibles), de patrimoine bĂąti (religieux, militaire, vernaculaire, 
), de patrimoine culturel ou religieux (traditions, fĂȘtes, parlers locaux, 
).». En termes de sauvegarde du patrimoine architectural, la labĂ©lisation est un outil de sensibilisation Ă  la qualitĂ© patrimoniale d’un lieu, cependant la labĂ©lisation ne garantit pas la protection du bien.

À SJMM comme autre part, c’est par des initiatives citoyennes hyper-locales que la sauvegarde de biens communs se joue. Attachement personnel, mĂ©moire collective d’un groupe d’individus, bien historique rare ou commun, identitĂ© territoriale... plusieurs notions entrent en jeu dans le processus de sauvegarde et d’attachement des sujets aux lieux et Ă  leurs objets.
À SJMM, depuis 2020, c’est une chance que l’engagement citoyen soit encouragĂ© au travers de concertations citoyennes par la nouvelle municipalitĂ© –gauche-Ă©colo-communiste, dont les membres sont majoritairement issus de la nouvelle gĂ©nĂ©ration d’habitants, arrivĂ©s dans les annĂ©es 1990-2000. La mairesse actuelle, CĂ©line Elie, travaillait dans le domaine des arts vivants et s’est installĂ©e Ă  son arrivĂ©e au sein du village dans l’usine Sainte-Julie pour y fonder l’association l’Essaim de Julie. De nouvelles propositions Ă©mergent pour des futurs souhaitĂ©s Ă  l’échelle de la collectivitĂ© en Ă©valuant les moyens disponibles. RapportĂ© au nombre d’habitants, le nombre d’évĂšnements organisĂ©s chaque mois n’est pas nĂ©gligeable. AnnoncĂ©s sur des affichettes A4 devant la Maison des Associations ou sur des panneaux aux carrefours et entrĂ©es du village: «L’Objet qui parle», «MarchĂ© musical de la Rivoire», «Tu joues?», «CinĂ©ma», «Rencontre avec...», «Club photos», «Chorale», «Cours de couture» ...

La difficultĂ© de rĂ©aliser et pĂ©renniser des initiatives visant Ă  encourager un esprit collectif et Ă  sauvegarder une dynamique de village s’explique par l’énergie nĂ©cessaire pour monter ces projets et la faiblesse de moyens mis Ă  disposition des habitant·e·s par la communautĂ© de commune et la rĂ©gion. Des questions reviennent souvent «Qui va s’intĂ©resser et soutenir ces projets? Quel public? Quelle diffusion en dehors du village et quelle suite?». Les Ă©vĂ©nements bĂ©nĂ©voles et associatifs, sont autant des moyens d’investir du temps pour le commun et de briser l’entre-soi que de tester des systĂšmes de prises de dĂ©cisions collectives sur des modes horizontaux. Ils sont prĂ©textes Ă  produire des rencontres et de transmission en luttant contre la sensation d’enclavement au sein d’un territoire.

Je sors de mes pensées.
Avec Pierre, nous buvons notre second cafĂ© de la matinĂ©e, mais cette fois-ci chez Jean-Marc et Éliane Bancel. Ces derniers me montrent un ancien agenda qu’ils viennent de retrouver en rangeant les bureaux de leur manufacture. À certaines dates, des noms et commandes attestent que la manufacture a accueilli temporairement lors de la guerre de 14-18, une activitĂ© textile.
On toc Ă  la fenĂȘtre. Un homme d’une cinquantaine d’annĂ©es, le visage un peu Ă©maciĂ©, les joues rougies par le froid, vient se joindre Ă  nous. Un petit comitĂ© se forme dans la cuisine de Jean-Marc et Éliane. Le nouvel arrivant, leur plĂątrier en arrĂȘt maladie, vient leur montrer des bijoux en bois sculptĂ©. Il les rĂ©alise Ă  partir de chutes de bois exotiques: palissandre, Ă©bĂšne... provenant de leur ancienne Manufacture et Fonderie de Croix & de Christs. Les ressources de la manufacture ne se perdent pas. Ces petits gestes du quotidien entretiennent un rĂ©seau d’entraide basĂ© sur la solidaritĂ©, le donnant-donnant et l’écoute, hĂ©ritĂ© du monde ouvrier. Ces rencontres, attentions et arrangements Ă  l’amiable entre habitant·e·s participent de maniĂšre informelle Ă  la vie collective et au maintien d’une unitĂ© de village.