Dans les brumes /Carnet de Terrain
21 novembre 2021, Ă  Saint-Julien-Molin-Molette.
Le blason de Saint-Julien-Molin-Molette.
Échange de mails avec Jean-Louis Contamine.
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AprĂšs la rĂ©union avec le Patrimoine Piraillon, je suis rentrĂ©e Ă  la maison pleine d’entrain. Je suis contente d’avoir reçu une « commande » me permettant d’investir mes compĂ©tences de designer pour le village. Au levĂ©, j’envoie un mail Ă  Jean-Louis Contamine afin d’élaborer un petit cahier des charges et de lui montrer quelques rĂ©fĂ©rences. Je choisis de lui prĂ©senter les Ă©cussons produits par l’artiste Nelly Monnier, dans le cadre de sa recherche sur le territoire français avec le photographe Eric Tabuschi. Le duo avait notamment traversĂ© la France en camionnette amĂ©nagĂ©e, afin de photographier, au grĂ© de leur voyage, des lieux-dits. Le ciel gris et nuageux en toile de fond. Des bĂątiments et paysages, du bistrot Ă  la maison en bottes de foin d’un village perdu sont cartographiĂ©s au sein d’un site internet et de plusieurs livres. Certaines rĂ©gions, connues et mĂ©connues comme la Bretagne ou la Savoie sont illustrĂ©es par des Ă©cussons brodĂ©s. Les couleurs, icones et formes reprennent des Ă©lĂ©ments gĂ©ographiques propres Ă  chacune d’entre elles. Ocres, bleus, verts, gris. Vagues, lignes, trous.
Leur Ă©tude relĂšve autant de l’anecdote dĂ©couverte sur le terrain, que du relevĂ© scientifique par la topographie, l’analyse des sols et la sociologie.

Formule de politesse. Envoi. Je sors de la maison.

À mon retour, Ă  l’heure du goĂ»ter, concours de circonstances, en mĂȘme temps que le pain saute du grille-pain, un numĂ©ro que je ne connais pas s’affiche sur l’écran de mon tĂ©lĂ©phone.
J’hĂ©site. Je dĂ©croche. Un silence, puis «Jean-Louis Contamine je viens de voir votre mail. Je vous rappelle, ce sera plus rapide. Comment allez-vous?» Je suis surprise de la rapiditĂ© de sa rĂ©ponse et un peu dĂ©contenancĂ©e. Je lui demande si le retour de nuit dans la brume n’a pas Ă©tĂ© trop difficile. «Oh vous savez c’est ma femme qui conduit, mais c’est vrai qu’on n’a pas l’habitude, on voyait rien, rien. On est dans les nuages ici.» Puis il enchaĂźne:
«J’ai bien rĂ©flĂ©chi Ă  votre question...» Il parle lentement, une voix enjouĂ©e et enrouĂ©e. Il m’énonce rapidement les symboles tirĂ©s du passĂ© minier et textile qui lui viennent en tĂȘte pour SJMM. Je saisis un crayon et les note, sur le vif, au dos d’un ticket de caisse qui traĂźne cette sĂ©rie de mots «chariot, canette, navette ». Mais quel ancrage dans le territoire, quel rapport aux spĂ©cificitĂ©s du paysage? «sapin, eau». Quelle actualitĂ© du village ? Silence.
Il me rĂ©pĂšte plusieurs fois «l’ancien blason, lĂ , il est moche, moche. Il ne reprĂ©sente rien. Et le bleu, blanc, rouge... pfff!». Il me dit que ce sera compliquĂ© de dessiner un blason pour le village car cela relĂšve d’une dĂ©cision politique. Le nouveau blason pourra ĂȘtre utilisĂ© pour reprĂ©senter l’association et ensuite ĂȘtre proposĂ© Ă  la Commune. Je lui demande s’il a connaissance de blasons plus anciens. « Non pas dans ma collection, il faudrait demander Ă  Hubert!»
DerriĂšre, les sons de la vie de famille, ça s’agite. La voix de Gylaine. Elle l’appelle, leur fille est au tĂ©lĂ©phone. Il me propose de venir voir sa collection de livrets d’ouvriĂšres Ă  l’occasion, Ă  Lyon. Il raccroche. Le silence dans la maison m’englobe Ă  nouveau. L’adrĂ©naline redescend, je suis euphorisĂ©e. Je regarde mes notes, allume la musique, fais rĂ©chauffer mes tartines. L’heure du goĂ»ter est passĂ©e.