Dans les brumes /Carnet de Terrain
Fin août 2022, à Saint-Julien-Molin-Molette.
Passage d’étĂ©, la mairesse, les gitans et la rupture gĂ©nĂ©rationnelle.

Fin aoĂ»t, je me rends une derniĂšre fois Ă  Saint-Julien pour prendre les photos manquantes des objets et lieux que je souhaite prĂ©senter sur le site que je suis en train de constituer. Quelques semaines plus tĂŽt ont eu lieu le stage de chant des Oiseaux Rares, la vogue et la fĂȘte des conscrits de l’annĂ©e. Pour l’occasion, un Ă©norme feu a Ă©tĂ© allumĂ© sur la place Bancel, les conscrits sautent Ă  travers les flammes, signe de leur passage d’un Ăąge Ă  l’autre. La pĂ©nurie d’eau et la sĂ©cheresse touchent de plein fouet le village. Depuis juin, les villes-portes et les communes ont trop puisĂ© dans la source du Ternay, le niveau de la riviĂšre est trĂšs bas, le barrage est presque Ă  sec. L’eau est livrĂ©e par camion-citerne chaque semaine, des concertations citoyennes sont organisĂ©es pour trouver des solutions et sensibiliser les habitant·es Ă  l’économie de l’eau au quotidien. Des incendies se sont dĂ©clarĂ©s dans les champs alentour, vite maĂźtrisĂ©s. La carriĂšre est obligĂ©e d’ouvrir sa rĂ©serve d’eau aux sapeurs-pompiers.

La semaine suivante, le Vival, le cafĂ© la ClĂ© Ă  Molette et l’Alimentation GĂ©nĂ©rale sont fermĂ©s durant deux semaines pour congĂ©s estivaux. La Radio d’Ici diffuse une bande son Ă©clectique et quelques nouvelles rĂ©gionales. Seul le Tabac reste ouvert. Le Camping organise quelques soirĂ©es karaokĂ©s, ambiance Gilets Jaunes. La piscine est Ă  deux euros en journĂ©e. Le samedi Bar ouvre en soirĂ©e du vendredi au dimanche. Sinon, c’est le calme plat. La Boulangerie, la Pizzeria, le Kebab et la Boucherie ont fermĂ© dĂ©finitivement.
Les courses se font sous forme de provisions pour la semaine, le pain en miche est stocké dans des torchons frais ou congelé. Pas de In & Off cet été.

Je vais dĂ©couvrir le nouveau Syndicat d’Initiatives dans l’ancien magasin Mathevet. Des goodies, fin de stock de T-shirt Ă©ditĂ©s par la Parc, tire-bouchons rĂ©alisĂ©s par la Fonderie Bancel, cartes postales et la rĂ©Ă©dition du livre Saint-Julien-Molin-Molette et son patrimoine liĂ© Ă  l’industrie textile sont en vente. Des glaces aussi.
Un soir, Ă  la Salle des fĂȘtes, un anniversaire.

Avec des amis, nous allons visiter la Brasserie du Pilat. Au bar de la fabrique, la serveuse nous demande d’oĂč nous venons. On discute du dĂ©veloppement de la brasserie grĂące Ă  sa stratĂ©gie de rĂ©seau et de service de suivi client. Au dĂ©tour de la conversation, elle se prĂ©sente, CĂ©line Élie, propriĂ©taire de l’usine Sainte-Julie – ancienne fondatrice, avec sa sƓur, de l’association l’Essaim de Julie
 et mairesse du village! Elle nous raconte la passation de pouvoir de la prĂ©cĂ©dente municipalitĂ© Ă  la sienne, elle sait que sa municipalitĂ© fait dĂ©bat au sein des habitant·es. Le mode de gouvernance instaurĂ© est horizontal, elle ne veut pas ĂȘtre la dĂ©cideuse. Elle dit «s’en foutre de la politique, des amitiĂ©s et de la lĂšche avec les prĂ©fets.». Elle ne brigue pas de deuxiĂšme mandat, trop usant, les politiques rĂ©gionales dĂ©laissent le village, il faut bricoler. «Si on veut obtenir quelque chose, il faut le rendre mĂ©diatique, faire du bruit, inviter la presse.». Elle enchaĂźne d’un ton bourru et dĂ©terminĂ© «Par exemple, ça fait quinze ans qu’une communautĂ© de gitans vient tous les hivers Ă  Saint-Julien. Les enfants sont scolarisĂ©s Ă  l’École, mais ils ne s’intĂšgrent pas faute de moyens de prise en charge et de relais locaux. Ils logent dans leurs caravanes chemin Anne-Sylvestre. L’hiver, on leur apporte des couvertures, de la nourriture et des bottes de paille pour nourrir leurs chevaux tellement on voit leurs os. Le voisinage n’en peut plus des combats de coqs et du bruit. Ça crĂ©e des diffĂ©rends. La Mairie est dĂ©munie, on n’est pas formĂ©, on est juste des habitants. On aimerait leur donner un terrain de la municipalitĂ© mais l’accord du prĂ©fet est impossible Ă  obtenir parce que ce n’est pas intĂ©ressant pour sa carriĂšre politique. Ici, il y a beaucoup de copinages entre Ă©lus rĂ©gionaux et dĂ©partementaux.
Beaucoup de dossiers trainent. On aimerait dĂ©velopper le village et empĂȘcher qu’il ne devienne un village dortoir. Au Faubourg, on aimerait dĂ©construire/dĂ©truire le parking du HLM pour dĂ©couvrir/mettre Ă  jour la riviĂšre – comme autrefois avec le pont de la Rue Vieille – mais on n’a pas les moyens. On essaye de faire labĂ©liser le village par la Fondation du Patrimoine pour obtenir des financements, peut-ĂȘtre qu’on sera dans le loto du Patrimoine. On ne sait pas comment valoriser la place du textile dans le futur du village. Ça ramĂšnerait du tourisme, mais constituer le dossier de candidature demande beaucoup de temps. En milieu rural, ĂȘtre Ă©lu·e, ce n’est pas du temps plein, on est payĂ© cinq cents euros pour des heures qui n’en finissent pas. DĂšs qu’il y a un souci – un orage, une coupure Ă©lectrique, un accident, un litige entre voisins – on est appelé·es. C’est compliquĂ© d’ĂȘtre investie politiquement de maniĂšre neutre, on essaye, on a suivi des formations pour animer des concertations citoyennes mais c’est difficile de faire venir les habitants, de les pousser Ă  s’investir pour la commune. On est 1200 dans le village, il y a pleins d’associations, tout le monde se connait, pourtant il y a de vraies ruptures entre milieux sociaux et gĂ©nĂ©rations.».

On discute quelques minutes, elle dit avoir entendu parler de mon mĂ©moire lors de la rĂ©union de juin avec le Parc. Il faudrait qu’on se rencontre


Nous rentrons Ă  la maison, la discussion me rappelle un podcast ArteRadio «Le rĂ©pondeur du Maire» autour de la messagerie du tĂ©lĂ©phone d’un maire en milieu rural.