8 janvier 2022, Ă Saint-Julien-Molin-Molette.
La fĂȘve.
Seconde réunion avec
lâassociation du Patrimoine Piraillon. Entre temps, jâai soumis une proposition de
blason et de gamme colorée inspirée du bùti du village, du savoir-faire textile et de la végétation du
Parc Naturel RĂ©gional. Une semaine de travail. Par mails, les retours sont positifs.
RDV Ă 14h30, Ă
la Maison des Associations, salle du RDC. Au programme du jour: temps dâĂ©change, le point sur le nouveau tirage de lâouvrage et sur le dossier de demande de subventions, poursuite du chantier de Saint-Julien-Molin-Molette dans le temps et lâespace, questions diverses et moment de convivialitĂ© autour dâune galette des rois.
Je me trompe dâheure, arrive 30 min en avance.
Au cĆur du village, sur
lâavenue de Colombier, en face de
la Grande Place et accolé au restaurant des Pies Railleuses, un grand bùtiment de pierre.
A sa façade sâagrippe une Ă©toile de rotin, des lettres blanches se dĂ©tachent et annoncent Maison des Associations». Les volets du bas sont fermĂ©s, en haut les rideaux verts sont tirĂ©s.
En dessous, sur un cadre de verre: syndicat dâinitiative, bibliothĂšque, centre multimĂ©dia, salle dâexposition».
Une baleine bleue aux yeux Ă©normes et dâautres animaux en taule vernie, rĂ©alisĂ©s par
les ETS Trouillet, viennent habiter les bosquets autour du bĂątiment.
Devant la Maison des Associations ont Ă©tĂ© installĂ©s un banc, des racks Ă vĂ©los, et du mobilier en bois rĂ©alisĂ©s par lâentreprise
lâusine Ă Bois â situĂ©e au rez-de-chaussĂ©e de
la rotonde de
lâusine Blanc.
Poutres, arches et colonnes en bois sont les supports de nombreuses affichettes: yoga, aprĂšs-midi jeux, couture,
cinĂ©ma, spectacles, produits frais... Les affiches ballottent au vent, retenues par de grandes bandes de scotch. Leurs couleurs se dĂ©lavent avec lâhumiditĂ© de lâhiver, les encres humides forment des aurĂ©oles autour des paragraphes de textes, le papier gondole. Certaines, mises sous plastiques, retiennent la condensation, des gouttes se forment et dĂ©gringolent dans les poches, le bas du papier immergĂ© boit lâeau, lâencre remonte Ă la surface, les informations ondulent. Construites par un architecte et un menuisier du village, ces micro-architectures couvertes de papier sont des dĂ©monstrateurs de la densitĂ© de la vie associative et culturelle du village. Elles sâadressent autant aux touristes de passage quâaux Piraillons et Piraillonnes. Selon les activitĂ©s, les points de rendez-vous varient: lâatelier dâuntel, la maison dâun autre, le Samedi-Bar,
la Salle des fĂȘtes...
Sâajoutent Ă cela les affiches sur les vitrines des boutiques et les dĂ©pliants dĂ©posĂ©s chaque mois Ă la Mairie. Jâai le vertige. Il y a trop de choses Ă faire, trop de personnes Ă rencontrer!
Des voitures sont arrivées sur
le parking de la Mairie.
Je rentre dans la Maison des Associations. Lino au sol, guichet dâaccueil en contreplaquĂ© laquĂ© orange, prĂ©sentoirs Ă cartes mĂ©talliques verts, grillages aux fenĂȘtres du rez-de-chaussĂ©e, antidĂ©rapant en caoutchouc sur les arrĂȘtes des marches. LâintĂ©rieur rĂ©pond aux normes. Ă lâĂ©tage, la bibliothĂšque. Pas dâascenseur. BientĂŽt, tout ce bĂątiment sera rĂ©novĂ© et son contenu dĂ©mĂ©nagĂ©.
La Maison de Soins, aujourdâhui Ă la sortie du village, sur
la zone artisanale, sâinstallera Ă la place de la Maison des Associations qui sera dĂ©placĂ©e dans
lâancien Magasin Mathevet, derriĂšre, au croisement de lâavenue des Ateliers et de la rue de
lâĂglise.
En plein centre du village, le long de
lâavenue de Colombier, il y aura donc
la Grande place,
la Mairie,
le Vival,
la Boulangerie,
le Tabac et la Maison de Soins. Malheureusement relĂ©guĂ©e Ă une rue en contrebas de la route principale, lâeffervescence associative et culturelle du village risque dâĂȘtre invisible aux personnes de passage.
Hubert Sage a rĂ©servĂ© la salle dâexposition, directement Ă droite aprĂšs lâentrĂ©e. Sur les murs de la piĂšce, des dessins de lâexposition prĂ©cĂ©dente dâune artiste locale. Des pans de fresque, une usine qui brĂ»le, un phĂ©nix rouge qui sâenvole. Les membres de lâAssociation sâaffairent. On installe les chaises et les tables en une ligne au centre de la piĂšce, Hubert Sage prĂ©side. Le brouhaha des conversations mâassomme un peu. Je ne sais pas oĂč me mettre dans cette assemblĂ©e, entre camarades de classe, voisins, amis, ennemis. Hubert Sage me taquine Alors, tu as fait retravailler
Yvette-Vincent?» Puis dâautres arrivent encore.
Soudain, on mâappelle. En face de moi, François Perrier, fils du
patron, qui, Ă la premiĂšre rĂ©union, trois mois plus tĂŽt, nâavait pas Ă©tĂ© trĂšs enthousiasmĂ© Ă lâidĂ©e que je lui pose quelques questions. La veille de la rĂ©union, jâai reçu un mail de sa part contenant des photos dâoutils,
des images dâarchives de la salle du
moulinage, de
lâourdissage et de
la serre de
lâusine Sainte-Marie ainsi que des photos dâanciens gareurs Ă
lâatelier menuiserie. Sa rĂ©apparition soudaine me dĂ©stabilise. Il se dirige vers moi tout sourire: Tu es Ă Lyon de temps en temps? Si tu veux on peut se voir parce que je peux te faire des photos mais bon câest mieux de voir les objets en vrai.». Il me montre les outils quâil a apportĂ©s avec lui dans une boite rouge: Ăa câest pour
Ă©pinceter, câest pour aller attraper les fils de
trame qui dĂ©passent Ă la surface du tissu. Cet autre outil, câest ce quâon appelle
des forces, lĂ câest le nom du fabricant Nogent, ce sont des objets assez rĂ©cents. Celui-ci est beaucoup plus ancien, puis lĂ câest Ă©crit Didier mais câest pas un ouvrier qui a mis son nom⊠Non, je ne pense pas que ça soit un ouvrier, peut-ĂȘtre le forgeron. Y a celui-lĂ qui est amusant, jâai perdu son nom, je sais pas du tout quelle est son utilitĂ© ni comment il sâutilisait.».
Une femme intervient: Moi jâai une vraie
force comme ça chez moi!».
François Perrier continue: Et puis ça sâest pour aller chercher... heu... Danny câest pas
une passette ça?». Une autre femme: Moi jâai
un compte-fils aussi.».
François Perrier: Danny, toi qui connaĂźt bien, câest pas ça
une passette?». Danny lĂšve la tĂȘte, fixe lâobjet, rĂ©pond en rigolant Si, câest bien une passette, on attrapait le fil avec le petit crochet du bout pour le faire passer dans
les lisses et
le peigne. Fallait passer le fil entre
les dents du peigne, jâĂ©tais pas dĂ©gourdie, jâavais pas la main si bien que jâengageais toujours la mauvaise dent.» François Perrier la coupe: Ăa, câest
une carcagnole.». Une autre femme: Et ça sert Ă quoi?». François Perrier: Et bien câest ce qui reçoit
le fuseau sur
les moulins!» Danny enthousiasmĂ©e par le quizz: Ah oui oui oui, je connaissais pas le terme.». François Perrier magistral: Parce que le mouvement de rotation du fuseau percerait le bois ou le mĂ©tal. Et, puis ça ⊠ça sâappelle
un barbin, câest pour guider les fils, on en trouve sur les banques oĂč on fait
des bobines, on va poser ça sur la rĂ©glette qui bouge. Câest en porcelaine, il y en a de beaucoup de formes. On fait passer les fils dedans pour quâils ne sâaccrochent pas⊠un truc comme ça. Un crochet mĂ©tallique couperait beaucoup plus les fils. Et puis, je peux tâexpliquer les photos du mail. Tu as vu un mĂ©tier Ă tisser avec un appareillage si tu as regardĂ© de prĂšs? Ăa sâappelle une ratiĂšre. GĂ©nĂ©ralement il y a quatre ou six manivelles auxquelles sont accrochĂ©s
les cadres pour avoir des dessins â armures â sur le tissu. Pour
un Jacquard il en faut beaucoup plus, ici il devait y en avoir deux, quatre, peut-ĂȘtre huit, et câest actionnĂ© par un⊠heu comment on dit,
des cartes perforĂ©es en mĂ©tal. Avant, il y a eu des cartons puis il y a eu des petites chaĂźnes avec des bois percĂ©s de trous qui permettaient de rĂ©gler le mĂ©tier. Ăa levait tel ou tel fil. Ă une certaine Ă©poque Ă lâusine, on a fait pas mal de tissu quâon appelait du vichy, du carrĂ© rose ou bleu. Brigitte Bardot a portĂ© ça Ă une certaine Ă©poque, et câĂ©tait trĂšs Ă la mode. Et donc on faisait du vichy Ă Saint-Julien-Molin-Molette. Alors! il y a des cartons perforĂ©s, des chaĂźnettes avec des petites lames, enfin des trucs comme ça.».
Il marque une pause, puis pensif: Quâest-ce que jâai envoyĂ© dâautre dĂ©jĂ ? Ăa fait dĂ©jĂ quelques jours... La photo des ouvriers, câest Ă
lâatelier, celui au bout de
la salle de tissage, sur la gauche. Il y avait une scie,
un tour,
une perceuse. Les quatre personnes dessus ce sont: Ă gauche Joseph Sauvignier, il Ă©tait gareur. Ensuite, il y avait Bouterre, surnommĂ© Boutchi. Les deux gareurs de lâĂ©poque câĂ©taient Bouboule et Boutchi, ils Ă©taient aussi grand lâun que lâautre. Au fond, il y a le papa de Danny avec son bĂ©ret sur la tĂȘte. La photo date de 1952. Et puis le dernier sur la droite...».
Danny le coupe: Daniel Oriol, mon papa, il Ă©tait directeur de lâusine,
contremaitre.».
François Perrier: Quand Papa Ă©tait pas lĂ , câest le pĂšre de Danny qui faisait tourner lâusine. Et puis, le quatriĂšme ouvrier Ă droite, câest un monsieur qui sâappelait Mazet, câest lui qui a fait la pendule de lâatelier. Avec des piĂšces et des engrenages de lâusine. CâĂ©tait un trĂšs bon mĂ©canicien. La pendule avait une tige qui partait par un trou dans le sol pour actionner le cadran accrochĂ© Ă lâextĂ©rieur, sur mur de la cour, chaque heure la pendule sonnait. Bon⊠elle a Ă©tĂ© volĂ©e, sans doute pour le mĂ©tal⊠Mais il faut ĂȘtre sacrĂ©ment dĂ©terminĂ© pour aller la chercher! Papa nâaurait pas aimĂ© que jâaille me promener sur le toit, y a un petit passage Ă lâhorizontal et autrement ça descend vite hein⊠Autre chose,
les teintures, quand on voulait faire des tissus vraiment teints, grand teint si on peut dire, câĂ©tait teint Ă lâextĂ©rieur, dans un atelier dans un autre village la plupart du temps. En revanche, dans
la buanderie, on teignait des fils sortis du
moulinage pour les distinguer les uns des autres. Quand on les passait Ă lâĂ©tuve, on les teignait avec des couleurs qui passaient â la fugace â aprĂšs pour savoir quel Ă©tait tel ou tel fil destinĂ© Ă faire
la trame ou
la chaĂźne. Câest des teintures temporaires, des roses comme des fesses, et des petits verts trĂšs douxâŠÂ».
Autour de nous, tout le monde sâassied. François Perrier est perdu dans ses souvenirs.
Sa femme: François tu te tais et tu tâassieds.».
La réunion va commencer. Hubert Sage monte le ton.
Je croise le visage dâune femme, la trentaine, elle aussi un peu dĂ©boussolĂ©e. Je me dirige vers le banc, Ă cĂŽtĂ© de cette deuxiĂšme intruse Ă la troupe.
Les premiers sujets de rĂ©union sont le renouvellement du statut de lâAssociation, le budget prĂ©visionnel, les demandes de subventions adressĂ©es au: Service Instructeur Aides au Patrimoine du Conseil DĂ©partemental de la Loire», afin de financer la rĂ©Ă©dition du
livre Saint-Julien-Molin-Molette et son patrimoine liĂ© Ă lâindustrie textile. Tout sâenchaĂźne vite. Lectures de mails, prĂ©sentation des dossiers, la lettre de soutien Ă lâAssociation signĂ©e par le PrĂ©sident du PNR. Toutes ces attentions Ă la prĂ©paration du dossier permettent dâajouter du poids aux demandes de financement et lĂ©gitiment lâexistence de lâAssociation â nĂ©e du regroupement des auteurs de lâouvrage lors de leurs recherches autour du patrimoine du village.
Certains dĂ©tails piquent lâattention et marquent lâĂ©cart entre gĂ©nĂ©rations: les difficultĂ©s de complĂ©ter Ă la main un PDF devant ĂȘtre rempli en ligne â pas assez de cases, lâĂ©criture trop grosse, le nom du village trop long.
Lecture par François Perrier de la lettre du
Parc:
Lâassociation Patrimoine Piraillon sâest donnĂ©e pour objet de soutenir toutes initiatives visant Ă valoriser le patrimoine historique, naturel, humain et industriel du village de Saint-Julien-Molin-Molette. Au cours de ces douze annĂ©es dâexistence, elle a prĂ©sentĂ© rĂ©guliĂšrement des expositions, des publications et organise rĂ©guliĂšrement des visites guidĂ©es. Un site internet vient complĂ©ter cette dynamique. Le PNR crĂ©e en partenariat avec notre Ă©diteur, Jean-Pierre Huguet, une collection patrimoine et richesses du Pilat, et lâouvrage y est rĂ©fĂ©rencĂ©. (...) Ainsi, nous sollicitons une aide exceptionnelle de cinq-cents euros au titre du Patrimoine pour la rĂ©Ă©dition du livre.».
Hubert Sage: Il sâagit de montrer au DĂ©partement quâen fonction de nos moyens on peut essayer dâapporter quelque chose au village. On fait cette demande en prĂ©voyant que
la Mairie nous donnera une subvention plus forte cette annĂ©e, plus que les simples frais de fonctionnement de lâassociation.».
Le second sujet est consacrĂ© Ă lâhistoire de Saint-Julien-Molin-Molette dans le temps et lâespace. Lâassociation a dĂ©jĂ rĂ©alisĂ© une exposition autour des conscrits dans les vitrines de lâancien tabac de
la Rue Neuve, puis une exposition, dans la vitrine de
la boutique Mathevet, autour des travaux et lâamĂ©nagement du Parc de
lâĂ©cole, anciennement nommĂ©
Parc Dussuc.
Hubert Sage commente: On nâaurait pas eu le mĂȘme succĂšs si on avait appelĂ© lâexposition exposition du Parc Dussuc», on lâa appelĂ©e exposition du Parc de lâĂ©cole» parce quâil faut essayer dâintĂ©resser les gens dâici qui ignorent tout et qui nâont pas forcĂ©ment envie dâen savoir plus.»
Une femme argumente Il y a beaucoup de gens nouveaux au village. Il faut les aider Ă pĂ©nĂ©trer ce passĂ©.» Une autre femme conclut On arrive par le prĂ©sent Ă rejoindre le passĂ©, câest une passerelle.».
Tels des historiens amateurs, les membres souhaitent maintenant recenser lâĂ©volution des lotissements construits aux alentours du centre-bourg du village, notamment celui du
Parc du Soleil.
Face Ă ce nouveau sujet, un homme prend la parole pour prĂ©ciser: Jâai jamais pensĂ© faire lâhistoire complĂšte de Saint-Julien. Mon idĂ©e câĂ©tait de parler de choses que les gens ne connaissent pas, comme le textile. Câest Ă dire le passĂ©, archiver que
lâavenue de Colombier nâexistait pas en 1810.».
Ces enquĂȘteurs-citoyens mettent en commun leurs souvenirs pour commencer leur recherche.
Une femme explique: Pour
le Parc du Soleil, en 1970, il y avait des rĂšgles dans la construction du nouveau quartier. Il a fallu que tous les toits soient les mĂȘmes, pas dâĂ©tage, les mĂȘmes couleurs de volets et de crĂ©pi, les portails, tous identiques.»
Une autre voix sâĂ©lĂšve:
Le Parc du Moulin du Mas, câĂ©tait bien aprĂšs. Y a eu du laisser-aller au niveau de la construction aprĂšs le Parc du Soleil.». Suivie dâautres: Le Parc du Soleil, il fallait respecter une sorte de plan dâurbanisme pour avoir une architecture unifiĂ©e. Celui du Moulin du Mas, a Ă©tĂ© construit au moins huit ans aprĂšs.», Au Parc du Soleil, la municipalitĂ© obligeait Ă prendre certains artisans du coin comme maitres dâouvrage pour avoir un terrain viabilisĂ©. LâĂ©quipe de la commune ou les artisans locaux devaient ĂȘtre choisis pour travailler sur ces futures habitations.», Ă lâentrĂ©e du Parc du Soleil, vers le mini-golf, il y avait un trĂšs grand portail, il en reste encore les piliers. Le reste du portail a Ă©tĂ© enlevĂ© pour que les engins de construction puissent passer. CâĂ©tait grand, le terrain allait jusquâĂ
lâĂ©cole. Il y a eu dix maisons construites, les plus petites parcelles font mille mĂštres carrĂ©s.», Ils nous ont quand mĂȘme laissĂ© les pins que M. Bobichon avait fait planter. Ils sont beaux ces pins.», Le mini-golf chez
M. Bobichon était une dalle de béton, ça nous en a laissé des cailloux ça à la démolition.», tranche une femme en marmonnant.
François Perrier: Je connaissais trĂšs bien le mini-golf, jâai beaucoup jouĂ©, jâĂ©tais copain de Bernard Bobichon. Jâai jouĂ© jusquâau dernier moment, jusquâĂ ce que la famille Bobichon Ă©clate Ă Lyon, Ă Paris...».
Mais ils ne sont pas tous morts les Bobichons?» questionne une voix. Sâensuit une liste des vivants et des partis, des Ă©poux, des enfants, des veufs. Jâenterre facilement les gens quand ils sont plus Ă Saint-Julien⊠je me dis bon ils ont disparu.».
Reprise du sujet initial, comment faire pour recenser les Ă©volutions du lotissement? Marie-Jo se porte volontaire et apostrophe son amie: Câest notre quartier, on peut demander chez les voisins. On peut demander quelles dates sans passer par toutes les maisons.» Je connais plus personne.» On est pas obligĂ©es de rencontrer tout le monde, juste deux trois personnes, on en connait quand mĂȘme.» Y a Josette, une des derniĂšres secrĂ©taires de lâUsine Perrier.». Une nouvelle avalanche de prĂ©noms, dâanciens conscrits, de divorcĂ©s, de morts.Une seconde Ă©quipe dâhistoriens amateurs se forme autour de la cartographie et de la datation des tombes du cimetiĂšre.
Silence dans la salle.
Hubert reprend: On passe aux questions diverses. Je vous propose lâalimentation du Site, pour notre public on se doit de lâalimenter par saison. Je vais publier lâAlmanach Paroissial de 1907.»
Et puis un autre sujet: celui du parchemin confiĂ© Ă Camille Benecchi, conservatrice-restauratrice dâobjets historiques, arrivĂ©e en dĂ©but dâannĂ©e au village. Plus jeune membre de lâassociation aprĂšs moi, câest la femme assise Ă ma droite. Elle travaille sur cet ancien parchemin datant de 1579, dĂ©couvert aux cĂŽtĂ©s dâun Christ sculptĂ© en bois, dans la collection dâun Piraillon. Elle prend la parole pour la premiĂšre fois: La palĂ©ographie nâest pas mon domaine.».
Nouveau silence dans la salle.
GrĂące au relativement bon Ă©tat du document, du fait de ses bonnes conditions de conservation», Camille explique quâelle peut faire un travail de stabilisation» de lâĂ©tat du document, de dĂ©crassage en enlevant les moisissures», et une petite remise en beauté» mais questionne lâintĂ©rĂȘt de cet investissement de temps bĂ©nĂ©vole â au moins une semaine de travail. Car pour rendre le document lisible, s'ajoute au nettoyage un travail de remise en forme» et consolidation» pour empĂȘcher les plis marquĂ©s et les dĂ©chirures de fragiliser le document.». Selon lâexploitation future du document faut-il le restaurer ou juste le stabiliser pour le sauvegarder? Quels intĂ©rĂȘts pour lâassociation et le village de conserver ce vieux bout de papier dont lâĂ©criture manuscrite nous est illisible? AprĂšs sa restauration, son dĂ©chiffrage demandera lâexpertise de linguistes, dâhistoriens et dâanthropologues... Sachant que le document nâappartient pas Ă lâassociation et que son sujet ne semble pas vraiment local, comment ce document sera-t-il valorisĂ© dans le futur?
RĂ©flexion collective. Ce nâest pas lâassociation qui va prendre en charge la restauration.
De plus, le propriĂ©taire souhaite garder son anonymat de peur que lâĂtat et les services du Patrimoine ne saisissent son prĂ©cieux reliquaire et autres secrets. Le parchemin ne sâest trouvĂ© dans les mains de la restauratrice quâaprĂšs un long travail de persuasion mettant en avant la nĂ©cessitĂ© de prĂ©server ce bien. Câest la curiositĂ© et lâamour de ses objets qui ont convaincu le propriĂ©taire dâautoriser des yeux extĂ©rieurs Ă examiner le parchemin. En revanche, hors de question de sortir la sculpture de bois de sa cachette ou dâorganiser des visites de sa grange. Une photo in-situ, en huis clos entre le propriĂ©taire, le photographe et la sculpture va ĂȘtre rĂ©alisĂ©e, afin dâexposer le Christ sous forme dâaffiche dans
lâĂglise du village aux cĂŽtĂ©s des dĂ©cors muraux, rĂ©cemment dĂ©couverts sous les craquelures de peinture blanche des voĂ»tes. Lâapparition de ces rĂ©miniscences datĂ©es de 1677 a stoppĂ© les rĂ©novations de lâĂ©glise, sujette Ă des infiltrations dâeau. Une demande auprĂšs de la Fondation du Patrimoine a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e par la Mairie afin que des conservateurs et membres du patrimoine viennent analyser le site. En attendant, les travaux sont suspendus et lâaccĂšs au site, et surtout Ă la nef, est limitĂ© par des rubans blanc et rouge, similaires Ă ceux des chantiers ou des scĂšnes de crimes des sĂ©ries policiĂšres. Lâassociation souhaite valoriser par la mĂȘme occasion les cloches et lâescalier mĂ©diĂ©val menant au clocher.
La rĂ©union se clĂŽture par le partage dâune galette des rois provenant de
la Boulangerie.
Sur le chemin du retour, avec Camille, nous discutons de son travail de restauratrice.
Plusieurs Ă©tapes sont nĂ©cessaires avant dâentamer un travail: un Ă©tat des lieux, la rĂ©alisation de fiches dâinventaire et de sourçage des matĂ©riaux, puis lâannonce dâun protocole de gestes. PrĂ©lever, musĂ©ifier, respecter, simuler les matĂ©riaux mais laisser visible le travail du restaurateur.
La restauration doit ĂȘtre invisible Ă cinq mĂštres mais doit ĂȘtre visible Ă quarante centimĂštres de lâobjet.
Sur son site on peut lire:
Le travail de conservation-restauration pratiquĂ© ici se place sous lâangle dâune approche peu intrusive. Le but est de pallier les altĂ©rations Ă risque dâĂ©volution pour permettre Ă lâobjet de retrouver un Ă©tat stable tout en respectant la constitution dâorigine et les marques ou altĂ©rations dâusage des objets. DĂšs que nĂ©cessaire, un travail en Ă©quipe pluridisciplinaire est proposĂ©. Les interventions rĂ©alisĂ©es sont documentĂ©es, identifiables et rĂ©versibles. Les produits utilisĂ©s sont choisis en compatibilitĂ© avec les matĂ©riaux et situations traitĂ©s et ils sont les plus stables possible dans le temps. Lorsque cela est possible le choix sâorientera vers les produits ou techniques les moins toxiques et les plus respectueux de lâenvironnement.»