4 juin 2022, Ă Saint-Julien-Molin-Molette.
RDV Ă lâUsine Perrier
Je vais prendre le cafĂ© avec Delphine et Franck. Je nâai pas eu lâoccasion de les recroiser depuis lâinterview de novembre avec Delphine et la remise en route des mĂ©tiers de janvier avec Franck.
Franck:
Salut! Delphine est lĂ , son rendez-vous sâest annulĂ©. Si tu veux monter Ă lâappartâ boire un cafĂ©.
Delphine:
Jâai rĂ©flĂ©chi aux archives de sons que je pouvais avoir⊠et ça mâa fait penser Ă une artiste et anthropologue, Anne Dubos, qui a Ă©tĂ© en rĂ©sidence au sein du
Parc du Pilat, elle a rĂ©alisĂ© une sonographie du Pilat, elle Ă©tait passĂ©e par Saint-Julien. Dans mes souvenirs câĂ©taient plutĂŽt des sons de cloches, le marchĂ©, le passage des camions mais ça donne un bon aperçu du village actuellement!
Pierre Meunier et Christine Quoiraud ont aussi réalisé des captations, mais on en a déjà parlé.
Avec la Cie la Trisande, nous aussi on a dĂ©jĂ travaillĂ© avec le Parc autour de crĂ©ations in-situ. On est allĂ©s en forĂȘt, on a Ă©tudiĂ© la lumiĂšre, le contexte. On a proposĂ© aux habitants un spectacle dans la forĂȘt avec une dĂ©ambulation et diffĂ©rents points de vue sur le paysage. On sâest beaucoup questionnĂ©s sur comment trouver sa place dans les pleins, les vides, les matiĂšres naturelles pour trouver la complĂ©mentaritĂ© entre lâespace abstrait et lâespace naturel. Câest en valorisant le paysage quâon arrive Ă le protĂ©ger, il faut tisser des liens entre habitants et nature.
On débat sur le futur de Saint-Julien et la préservation du cadre de vie des alentours du Parc du Pilat.
Delphine:
Nous avons formĂ© un collectif dâhabitants pour lutter contre la poursuite de lâexploitation et lâextension de la carriĂšre des Gottes par Delmonico. Les camions passent toutes les deux minutes avec des bennes remplies de granit, il y a deux cent quarante passages par jour. La forĂȘt disparait complĂ©tement alors quâil y a des espĂšces protĂ©gĂ©es.
On avait organisĂ© un enterrement de la montagne. Il y a eu une premiĂšre action en justice oĂč la carriĂšre a gagnĂ©, pour encore 20 ans dâexploitation... Mais il y a eu des procĂ©dures et des appels. Le tribunal administratif Ă Lyon, câest un endroit trĂšs confinĂ©. Tout passe par les Ă©crits, il y a peu de plaidoiries. On a vraiment mis en avant lâenvironnement et sa localisation dans un Parc Naturel.
Le Parc du Pilat nous a beaucoup soutenu ces derniĂšres annĂ©es. LâICPE, câest un dossier que le carrier doit rĂ©aliser pour prouver quâil est en rĂšgle par rapport Ă lâenvironnement. Le carrier doit remettre en Ă©tat le site Ă la fin de lâexploitation, mais la terre vĂ©gĂ©tale et les rochers sont aussi extraits et vendus. Il y aura toujours ces grands dĂ©crochements, les hauteurs des marches sont hors normes, donc ça va ĂȘtre compliquĂ© de re-vĂ©gĂ©taliser. Le site nâarrivera que trĂšs difficilement Ă reprendre sa forme originelle.
En fĂ©vrier, lâactivitĂ© a dĂ» sâarrĂȘter Ă la suite de la dĂ©cision du tribunal de Lyon. Mais Delmonico a obtenu un droit dâexploitation dâun an de plus auprĂšs de la prĂ©fĂšte de la Loire. Et la carriĂšre a pu reprendre son activitĂ©. Câest trĂšs politique. Lâargument principal, qui divise dans le village, ce sont les vingt-quatre employĂ©s qui se retrouveront au chĂŽmage. Mais Delmonico est un grand groupe qui pourrait facilement proposer dâautres postes. Il y a eu quelques limitations dâextraction et de circulation mais ce nâest pas grand-chose comparĂ© aux dĂ©gĂąts faits Ă lâenvironnement. Maintenant,
la Mairie a pris le relais donc le collectif se rassemble moins.
Et cause du COVID, Ă lâĂ©chelle de Saint-Julien, les relations sociales se sont dĂ©tricotĂ©es trĂšs vite. Ăa va faire du bien que les spectacles et les initiatives reprennent cet Ă©tĂ©.
Franck:
Le Samedi Bar â
avenue de Colombier â est un lieu associatif super pour se rencontrer. Je suis passĂ© plusieurs fois, il y avait plein de monde. Gilles ouvre un peu quand il le sent. Et aprĂšs le COVID, un vendredi soir, jây vais en me disant que lĂ -bas je croiserai du monde, et en fait je me suis retrouvĂ© tout seul un bon moment. Donc je suis rentrĂ©. Il faut laisser du temps pour que les gens recommencent Ă sortir.
Je profite du cafĂ© pour prĂ©senter lâavancĂ©e de mes recherches Ă Delphine et Franck. En janvier, jâavais sĂ©lectionnĂ© dans les stocks de lâusine des objets renvoyant au travail de la soie et Ă la vie ouvriĂšre, tels que les:
bobine,
navette,
tavelle,
barbin,
capelette,
poids,
engrenage,
caisse Ă vaporiser,
fiche technique,
boite dâouvriĂšre,
poulie volant,
agenda... Lors de la collecte, je sĂ©lectionne selon diffĂ©rents critĂšres: la qualitĂ© de lâobjet â forme; la vulnĂ©rabilitĂ© â fragilitĂ©; la cohĂ©rence â prĂ©sence dans les collections amatrices, rĂ©currence dans les rĂ©cits. Sâajoutent Ă ces critĂšres des facteurs subjectifs: lâesthĂ©tique â beautĂ© de fabrication, de formes et dâĂ©tat de lâobjet; lâĂ©motionnel â le lien mĂ©moriel; la significativitĂ© â le potentiel de lâobjet Ă ĂȘtre un support de transmission et de mĂ©diation dans son contexte de monstration le futur.
Leur poids et leur encombrement ne mâont pas permis de ramener ces objets avec moi, Delphine et Franck mâavaient alors proposĂ© de les mettre de cĂŽtĂ© sur
un plateau jusquâĂ mon prochain passage au village.
DĂšs lors, sâest posĂ©e la question du prĂ©lĂšvement in-situ au service de lâinventaire, de la sauvegarde et de la transmission. Ces objets, anciens consommables des fabriques, produits semi-industriels destinĂ©s Ă ĂȘtre utilisĂ©s et usĂ©s, deviennent, par le prĂ©lĂšvement, des objets ayant une valeur mĂ©morielle, patrimoniale et esthĂ©tique. Hors de lâusine, ils deviennent des tĂ©moins uniques et prĂ©cieux de par leur anciennetĂ© et leur histoire. Mais, dĂ©tachĂ©s de leur lieu dâorigine, photographiĂ©s sur fond noir, avec une fiche-type dâinventaire, ils semblent dĂ©nudĂ©s de sens. Comment rendre compte du contenu immatĂ©riel lorsque lâobjet est sorti de son contexte dâusage ? Les photographies des objets in-situ retranscrivent une rĂ©alitĂ© du terrain. La photographie du milieu de dĂ©couverte est un Ă©lĂ©ment de comprĂ©hension des systĂšmes et des temps â production, commercialisation, activation, exposition, mort de lâobjet â au sein desquels les objets sâinscrivent. Les «fonds», loin de brouiller ou parasiter lâattention sont plus que de simples dĂ©cors, leur analyse permet de faire Ă©merger des clĂ©s de lecture quant Ă lâhistoire, la valeur et lâusage des objets. Ainsi la combinaison dâimages dâarchives, de photographies du milieu et de prises de vue en studio sur fond «neutre» permet de croiser les approches thĂ©oriques et pratiques â testimoniales, empiriques, descriptives, techniques et analytiques â mais aussi de faire Ă©merger des leviers de discussion entre expert·es du patrimoines et amateur·ices.
Une idĂ©e me vient alors: la mise Ă disposition de la collecte par le biais dâun site internet qui associerait objets, lieux de prise de vue, savoir-faire, rĂ©cits de vie et archives afin de mettre en valeur lâhistoire du territoire. Ce site permettrait de lire un territoire au travers de ses objets. Et Ă lâinverse, un objet Ă travers son contexte dâusage. Par la collecte de rĂ©cits de vie et la mise en relation de tĂ©moignages dâhabitant·es, il permettrait dâaiguiser un regard collectif sur la formation dâun inventaire. Cet inventaire en ligne serait un outil de mĂ©diation visant Ă rendre lisible lâhistoire du village dans le temps et pour tous.
Delphine:
Il y a aussi du nouveau en ce qui concerne la sauvegarde du patrimoine du village. PlutĂŽt que dâessayer de faire classer les bĂątiments un par un, lâidĂ©e serait de faire labĂ©liser le village dans son entiĂšretĂ©. Mi-juin, le 21, est organisĂ©e une rĂ©union entre les propriĂ©taires des anciennes fabriques, la mairie,
lâAssociation Patrimoine Piraillon,
le Parc du Pilat et un membre de la Fondation du Patrimoine de France. Ce membre de la Fondation vient visiter le village pour analyser les points dâintĂ©rĂȘts et aider Ă monter un dossier. Ce dossier permettra dâobtenir des labels et des financements pour sauvegarder certains lieux. La Mairie aimerait proposer un parcours au sein du village permettant de valoriser lâhistoire et les lieux. Le syndicat dâinitiative pourrait proposer des visites sur site avec guides. Et pourrait prĂ©senter les savoir-faire liĂ©s au tissage au sein de la commune. La visite sera animĂ©e par le Parc Naturel RĂ©gional, elle commencera par lâaqueduc et le pont de
Taillis-Vert, lâancienne
Fonderie Bancel puis
les canaux et
le chemin des Usines avec
lâusine Sainte-Julie,
Sainte Marthe,
Saint-Victor,
Blanc,
Saint-Joseph pour ensuite venir visiter
lâusine Perrier puis
lâusine Sainte-Marie. Et enfin, longer
la riviĂšre par
le canal de Lyponne, et arriver au
Lavoir et
au Moulin du Mas.
SĂ©bastien et Amandine, de
lâusine Sainte-Marie une sociĂ©tĂ©, je ne suis pas sĂ»re quâils puissent avoir des aides publiques. Dans tous les cas, rendre visible le petit patrimoine au sein dâune promenade touristique rendra le village plus attractif et crĂ©erait de lâactivitĂ© saisonniĂšre.
On te dira ce quâil en est.